Page 37 - Les chemins de fer impériaux d'Alsace-Lorraine (extraits)
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LA GUERRE ET LA FIN DU RÉSEAU
En 1887, en pleine crise du « boulangisme », le chef de Au final, ces manœuvres suspectes s’avèrent être un
gare de Romanswiller, sur la ligne Saverne – Molsheim, exercice militaire de grande envergure. Le ministère
apprend en conversant avec le scieur local que le minis- allemand de la guerre, le ministère des Travaux publics,
tère français de la guerre aurait acheté 3 millions de le RA et l’EL en tirent néanmoins des leçons pour l’ave-
planches pour la construction de baraques militaires à nir. Ensemble, ils conviennent de renforcer leur coopé-
la frontière. La scierie de Romanswiller a d’ailleurs déjà ration et de faciliter les échanges d’informations dans
expédié 5 wagons vers Nancy et quatre vers Verdun. de telles situations.
Alertée, la direction de l’EL interroge les autres gares L’épisode du « boulangisme » passé, la situation interna-
expéditrices de bois et découvre un phénomène iden- tionale se stabilise pendant une vingtaine d’années. Elle
tique à Obernai, Rosheim, Saverne ainsi que dans les se dégrade à nouveau en 1911 avec le « coup d’Agadir »,
gares de la vallée de la Bruche. Entre le 9 et le 23 janvier, auquel succède toute une série de crises diplomatiques
278 wagons de bois ont ainsi passé les gares frontières aboutissant finalement à la Première Guerre mondiale.
vers la France. Plus inquiétant encore : selon les services
de renseignements, il semblerait que les wagons alle-
mands utilisés pour le trafic international soient volon-
tairement retenus en France.
Les transports de bois se poursuivent jusqu’en mars.
Au cours des mois de janvier et de février, près de 2 000
wagons de bois sont envoyés en France, soit le double
par rapport l’année précédente. Toutes ces informations Le soudoyeur de gardes-voies
sont prises très au sérieux et transmises directement au
chancelier Bismarck.
Durant la guerre, l’activité d’espionnage redouble.
En mai 1918, le Quartier général de l’Etat Major
Pendant ce temps, on observe de curieux mouvements
écrit à l’EL pour l’informer du cas Karl Gress.
de concentration de locomotives et de wagons dans les
gares françaises. En mars 1887, le ministère allemand
des affaires étrangères apprend qu’une cinquantaine Karl Gress, ouvrier de profession, est né en 1893 à
de locomotives et environ un millier de wagons cou- Gumbrechtshoffen. Durant la guerre, il effectue son
verts ont été expédiés de Nancy vers Paris. À la frontière service militaire dans l’armée allemande, comme
franco-belge, des mouvements similaires sont constatés. tous les Alsaciens-Lorrains de son âge. Mais en
juillet 1917, il est déclaré temporairement invalide.
En novembre, Gress s’enfuit en Hollande pour éviter
La situation est assez inquiétante et laisse présager une
sa réincorporation.
guerre imminente. Aussi, pour obtenir des informations
fiables, l’EL envoie deux hauts fonctionnaires sur place,
pour une mission qui s’apparente fort à de l’espionnage… Arrivé à Maastricht, il entre en contact avec des
Les deux fonctionnaires, qui parlent bien français et n’at- espions français qui le convainquent d’intégrer une
tirent pas l’attention sur eux, sont MM. De Bary, directeur école d’espionnage afin d’y suivre une formation.
de l’exploitation (Betriebsdirektor) à Luxembourg et A sa sortie, on l’envoie en Alsace-Lorraine. Sa mis-
Gouber, inspecteur du trafic (Verkehrsinspektor) à Bâle. sion : soudoyer des gardes-voies du réseau EL afin
Le premier est envoyé sur le réseau de la Compagnie du d’obtenir des listes répertoriant les passages de
Nord, le second sur celui de la Compagnie de l’Est. De trains militaires. Ces listes sont ensuite à envoyer à
retour, De Bary et Gouber envoient leurs conclusions : au une adresse à Düsseldorf. De là, des complices hol-
cours de leur voyage, ils n’ont constaté aucune concen- landais viennent récupérer les messages pour les
tration suspecte de matériel roulant. remettre aux services d’espionnage français.
Pourtant le ministère allemand de la guerre est formel : Mais la carrière d’espion de Karl Gress sera rela-
selon ses informations, un parc de 1 600 wagons a été tivement courte. En janvier 1918, il tente de cor-
formé aux environs de Paris sur demande de l’État-major rompre un garde-voie alsacien travaillant sur la
français. Une partie de ce parc est constituée de wagons ligne Haguenau - Wissembourg, mais ce dernier
loués auprès de l’Erste Eisenbahnwagen Leihgesellschaft refuse le marché et le dénonce. Gress est finalement
(siège à Vienne). Ces wagons, jusqu’alors loués par la arrêté à Oberhoffen. Il réussit toutefois à s’enfuir
MÀV – les chemins de fer hongrois – avaient d’ailleurs du quartier pénitentiaire de l’hôpital militaire de
transité par Avricourt, ce qui avait éveillé la curiosité Strasbourg-Neudorf et à rejoindre la frontière hol-
des cheminots en poste dans cette station. landaise, malgré d’intensives recherches.
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